D’abord traité comme un épiphénomène, le bonheur au travail a fait l’objet d’une réelle prise de conscience dans les années 2006-2009. Les vagues de suicides chez de grands groupes tels que France Télécom et Renault sont venues ébranler les esprits et ont placé cette problématique au cœur des préoccupations et des stratégies des organisations d’aujourd’hui. Les nombreux mémoires qui fleurissent sur ce thème en font un sujet porteur d’avenir. Cécile Coste, Charlotte Leplan et Virginie Vizet, étudiantes de l’ISIC (promotion 2018-2020), expliquent leurs recherches et avancées sur le sujet.
Pour chacune de ces jeunes femmes, l’une des raisons principales du choix de ce sujet a été l’actualité. “J’ai beaucoup entendu parler de ce thème dans les médias : à la télévision, dans des reportages, des articles de presse…”, raconte Virginie Vizet. Charlotte Leplan appuie cette idée et approfondit : “C’est un sujet de société depuis quelques années déjà, notamment depuis l’affaire des suicides chez France Telecom.” Cécile Coste explique à son tour avoir été marquée par des histoires de burn out, notamment à La Poste. “Je n’ai jamais trouvé ça normal. Selon moi, le travail devrait être une source de bien-être pour tous” partage-t-elle.
Mais l’actualité à elle seule n’est pas l’unique motivation des trois Isiciennes. Elles expliquent que c’est notamment grâce à leur encadrante, Aurélie Laborde, enseignante-chercheuse à l’ISIC, que ces mémoires ont pu voir le jour.
L’évolution de la thématique à travers le temps
Virginie déclare : « Auparavant, le sujet du bonheur au travail tournait avant tout autour de problématiques philosophiques. La question du bonheur et celle du travail ont toutes deux été étudiées séparément avant d’être finalement associées. » Elle approfondit et explique que, bien que le terme de bonheur au travail soit une problématique sociétale et une thématique de recherche relativement récente, son concept général évolue depuis de nombreuses années au sein de notre société.
“Ce sont les nombreuses études sur les risques psychosociaux (RPS) effectuées dans les années soixante qui ont ouvert la voie. Mais c’est seulement dans les années 1990 que la problématique a été réellement abordée », avance Charlotte. Virginie ajoute que les écrits d’Elton Mayo et de l’école des relations humaines ont été très importants pour la recherche.“C’est grâce à eux que l’importance de considérer le salarié a été démontrée”, détaille-t-elle. Elle précise que la thématique du bonheur au travail s’est vraiment structurée grâce à la psychologie positive de Martin Seligman : “C’est à partir de là qu’on a considéré le bonheur au travail comme une problématique actuelle.” Cécile explique à son tour que ce sujet a commencé à apparaître dans les médias en 2008-2009. Elle poursuit en disant que, depuis, “c’est en quelque sorte devenu un phénomène de mode.”
Les problématiques autour du bonheur au travail
Selon Virginie, “les problématiques soulevées à travers la thématique du bonheur au travail sont majoritairement humaines.” Charlotte précise que la déshumanisation est une problématique importante. “C’est un comportement caractérisé par la recherche maladive de la performance des employés”, explique-t-elle. Cécile reprend cette idée et ajoute : “La ‘surhumanisation’ est un phénomène tout aussi important.” Elle définit ce phénomène comme étant le fait de trop materner un employé. “Cela n’apporte pas de bonheur et d’équilibre, bien au contraire”, conclut-elle.
Au-delà des relations salariés/employeurs, Charlotte met en avant l’existence d’une autre problématique : le phénomène du ‘blurring’, comme le décrit Nicolas Santolaria dans son livre Le syndrome de la chouquette. “C’est un phénomène qui décrit l’effacement de la frontière entre vie professionnelle et personnelle chez le travailleur », explique-t-elle.
Virginie précise que les domaines qui se sont emparés de cette problématique sont le management, la communication et les ressources humaines. Selon elle : “C’est un phénomène important qui est vraiment au cœur des stratégies des organisations d’aujourd’hui.” Elle explique que tous les dispositifs de bonheur au travail sont mis en place dans des buts précis : fédérer les employés en interne, créer de vraies valeurs d’entreprise, fidéliser les salariés, travailler sur la marque employeur, etc. “C’est un management qui met l’humain au centre des priorités. Il tente de créer davantage de sens au sein des organisations” précise-t-elle.
Charlotte tient tout de même à mettre en évidence une problématique supplémentaire : celle de la réalité du terrain. “Bien que la question du bonheur au travail soit très importante, cela reste un sujet assez nébuleux en entreprise.” Elle précise que “ Tout est très orchestré, mais dans les faits, ça ne colle pas toujours.” Cécile l’appuie dans ses propos et va encore plus loin. “Je pense que c’est un terme qui est trop traité et de manière trop superficielle. Il en est même parfois devenu un outil marketing” juge-t-elle.
Des instruments de mesure
Bien que ce sujet soit porteur d’avenir, Charlotte en voit les limites. “Concernant les critères d’évaluation du bonheur au travail, je dois admettre que c’est assez compliqué”, avoue-t-elle. Puis, elle ajoute que “beaucoup de sites font des études sur le bonheur au travail et utilisent des indicateurs quasiment toujours différents.” Elle explique s’être beaucoup penchée sur cette question lors de la réalisation de son mémoire. “J’ai établi un travail de recherche très conséquent. J’ai classé les critères d’évaluation les plus importants du résultat de ma recherche dans un ordre précis”.
Elle détaille qu’au sommet de son classement se situe la reconnaissance au travail. Puis, en deuxième position se trouvent les relations humaines (les rapports avec les collègues et la hiérarchie). La possibilité d’une évolution professionnelle est le critère suivant. Puis, l’accompagnement des managers se positionne en quatrième position, juste avant l’environnement (le cadre de travail et les ressources matérielles). Enfin, le dernier critère se trouve être la question du salaire.
Pour les plus curieux, Virginie mentionne l’existence d’un baromètre national du bonheur au travail créé par La Fabrique Spinoza, qui traite notamment du bonheur au travail dans la fonction publique. Cécile mentionne, quant à elle, l’European communication Monitor (ECM) qui “ concerne uniquement les métiers de la communication.”
Un luxe ou une nécessité ?
Sur ce point, Cécile, Charlotte et Virginie sont toutes les trois du même avis : il est nécessaire de traiter le sujet même s’il comporte une part de subjectivité dans le concept de “bonheur”.
“Je trouve ce thème important car il touche tout le monde, dans n’importe quel secteur, d’autant plus de nos jours” explique Cécile. “Les gens prennent de plus en plus conscience de l’importance de ce sujet émergent”, ajoute Charlotte. Elle partage le fait que le domaine de la communication s’y sensibilise tout particulièrement. “C’est une bonne chose car, après tout, le bonheur passe par la communication”, appuie-t-elle. Virginie précise ne pas être très à l’aise avec le terme de bonheur qui reste un terme très subjectif selon elle. “Personnellement, je préfère parler de qualité de vie au travail, de mieux-être au travail” précise-t-elle. Cécile explique partager le point de vue de sa camarade. Puis elle conclut : “Tout le monde n’a pas besoin d’être heureux tous les jours au travail. En revanche, tout le monde à besoin d’être bien pour travailler.”
Camille Constant,
Étudiante en master Stratégie et Politique de Communication.