L’université de Bordeaux Montaigne permet à ses étudiants de suivre un double cursus, en leur accordant le statut « d’étudiant-artiste ». Ce titre permet d’avoir un emploi du temps aménagé, pour pouvoir suivre une formation artistique dans un autre établissement, reconnu par le ministère de la Culture. Roxanne est à la fois danseuse classique, contemporain, jazz et hip-hop tout en suivant un Master de Communication des organisations à l’ISIC. Entre les cours, la danse et la vie étudiante, comment s’organise son quotidien ?
Pourquoi avoir fait un double parcours étudiant-artiste ?
À la base quand je suis sortie de mon sport-étude au lycée, je voulais directement travailler dans la danse, sauf que j’ai eu un kyste au genou et j’ai dû subir une grosse opération. L’alternative a été de commencer un parcours d’études. Pendant tout le temps de ma blessure, j’ai intégré le double parcours info-com/espagnol en licence à Bordeaux tout en passant mes diplômes de professeur de danse. À la sortie de ma licence je me suis posé des questions : est-ce que je fais de la danse ou est-ce que je continue mes études ? Le choix était très dur et j’ai donc décidé de tenter les deux. Deux concours que je ne pensais pas réussir et auxquels j’ai eu la chance d’être prise. J’ai tout de suite compris que c’était une opportunité, parce que je ne vais pas danser jusqu’à 50 ans et je veux une vie de famille. Et puis, un danseur bête ça n’existe pas, la danse c’est de la communication non-verbale. Aujourd’hui en danse, on défend des propos qui sont impliqués dans la société. Le master me permet un enrichissement culturel qui est en adéquation avec mon parcours artistique.
Pourquoi ne pas vouloir être simplement professeur de danse ?
Parce que mes objectifs sont beaucoup plus grands. Tout mon parcours en communication m’a aidée à mettre en lumière certains problèmes dans le milieu de la danse comme l’isolement en milieu rural. Les jeunes n’ont pas du tout accès à la culture et à l’art. Là d’où je viens, mes parents faisaient des centaines de kilomètres pour m’amener à la danse : c’était une chance qu’ils soient disponibles.
Avec l’arrivée de la danse au Jeux olympiques en 2024, avec le breakdance, nous avons décidé dans l’école que je dirige de devenir centre de formation pour athlètes olympiques. On a pu prouver qu’il y avait des talents partout. Notre but était de rendre ça accessible, d’éduquer une population. Surtout que la danse, en particulier la danse urbaine, reflète des mélanges sociaux et culturels qui ne sont pas présents en milieu rural.
A quoi ressemble une journée/semaine type quand tu allies danse et cours ?
C’est très compliqué. Un cours de danse ne se rattrape pas, c’est quelque chose qu’on a ou pas dans notre corps. J’ai pris conscience de ça dès le début. J’ai aussi été dispensée par le centre de formation de tous les cours théoriques en danse, puisque j’avais déjà obtenu mon examen de professeur de danse. Dans une journée type, soit je fais des allers-retours entre l’université et le centre de formation (à la Place de la Victoire), soit je privilégie l’un ou l’autre suivant le jour. Quand je rate un jour de cours, je dois me bloquer du temps le soir. Je consacre 2h30 uniquement au master, c’est chronométré. Mais quand on sort d’une journée de danse, on n’a qu’une envie, c’est de dormir et pas de travailler les cours.
Du coup, est ce que c’est difficile d’allier les deux ?
C’est extrêmement dur. D’ailleurs, j’ai décidé de ne pas faire un double parcours pendant les deux années du master. Je suis contente car l’année prochaine je vais pouvoir me consacrer uniquement au master et l’année d’après uniquement à la danse. Je me rends compte que physiquement, ce n’est pas possible de suivre ce rythme pendant deux ans. Je me blesse en danse, et moralement c’est aussi très dur. J’ai l’impression de ne jamais être à fond, ni dans l’un, ni dans l’autre.
Quels avantages au statut d’étudiant-artiste ?
Evidemment, il y a beaucoup d’avantages à ce statut, et le plus important est que je fais ce que j’aime. Le point positif, c’est que je ne suis pas enfermée dans quelque chose. Je suis tout le temps en train de croiser des parcours, croiser des réflexions. Par conséquent, tout ce que j’apprends dans le master, je le retranscris corporellement et sur scène.
Par exemple suite au projet Cultures Numériques et grâce au livre que nous avons lu, j’ai retranscrit certains problèmes de société avec mes élèves sous forme dansée.
Quelles ont été tes peurs ou tes craintes lorsque tu as choisi ce statut ?
J’ai toujours eu tendance à faire deux choses à la fois : la section sportive au lycée et la double licence l’année dernière. Je me suis donc dit que ce serait comme d’habitude. Je savais par contre qu’en faisant un double parcours, en faisant deux choses à la fois, on ne trouve pas sa place socialement : je l’avais déjà vécu. Avec le statut d’étudiant-artiste, je fréquente deux mondes sans trouver ma place d’un côté ou de l’autre et personne ne comprend ce que je fais réellement.
Quels sont les procédures et les critères pour obtenir le statut d’étudiant-artiste ?
Il y a tout un dossier à remplir pour justifier la demande, il est notamment question du parcours artistique. Il faut également faire une lettre de motivation pour évaluer les choix et la détermination à faire un double parcours. Mon centre de formation devait fournir une lettre explicative sur ma situation d’artiste. Ce partenariat n’est possible que parce que le centre de formation a signé un contrat avec l’université. Enfin, j’ai un professeur de licence qui m’a écrit une lettre de recommandation pour appuyer le dossier et expliquer que j’étais capable de le faire.
Que conseillerais-tu à un futur étudiant du master qui souhaiterait faire comme toi ?
Il faut être extrêmement organisé. J’ai été l’étudiante test car je suis la première à avoir ce statut dans ce master. Je pense donc que pour les prochains, il y aura un meilleur suivi.
Dans tous les cas il ne faut pas hésiter à poser des questions. Je suis bien entourée par le corps enseignant, notamment Mme Soubiale (responsable du Master 1 Consulting et expertise en communication). Il ne faut pas essayer de faire des « micmacs » d’emploi du temps. Que ça soit à la danse ou au master, les gens savent que certains jours sont réservés à l’un ou à l’autre et que je ne peux pas faire autrement. Il faut assumer cette organisation et prendre des décisions.
En tout cas, il est important d’insister sur la charge de travail que cela implique. Je n’ai jamais mes week-ends, qui sont réservés aux compétitions et cela manque cruellement à mon temps de travail pour les études. C’est dur, mais c’est une belle opportunité !
Marie Chappaz, Master 1 Stratégie et politique de communication